Les liens affectifs entre les Arméniens et la France

Beaucoup de pans d’histoire passent dans l’oubli, sauf pour ceux dont le cœur est particulièrement touché ou dont les fonctions font ressurgir les actes glorieux et les évènements douloureux du passé. Le 5 juillet 2012, une cérémonie au monument de la shoah rappelait l’histoire des Arméniens, pas seulement celle des « Justes parmi les Nations », mais aussi celle de ce lien affectif très fort entre les Arméniens et la France.

Les massacres de Cilicie d’avril 1909

Le 17 avril 1909, les autorités françaises, averties des sanglants massacres d’Arméniens qui se déroulaient principalement en Cilicie et dans le Nord-Ouest de la Syrie, avaient décidé de faire acte de présence. L’engagement de la marine se fit au départ sans directives précises. Dans cette difficile affaire, il s’agissait à la fois de contenter les victimes et de ne pas mécontenter les bourreaux. Petit à petit, la confrontation directe à la réalité des événements et à la souffrance des hommes, allait infléchir cette intervention en la transformant aussi en intervention humanitaire. Les officiers de marine prirent en charge une bonne part de l’action diplomatique régionale.
Fallait-il intervenir militairement? Le dialogue fut entamé avec les autorités locales, dont l’implication dans les massacres ne faisait déjà pas de doute. On insistait également sur la nécessité d’empêcher la réalisation d’un nouveau massacre que la rumeur annonçait imminent (rapport du 23 avril 1909). L’effet dissuasif de la présence des marines (France, Royaume uni, Allemagne, Italie, Etats Unis…), n’empêcha pas le massacre. L’action de sauvetage est alors entreprise…avec retard par la France qui suivit les exemples anglais et allemand.

25 avril 1909

Le paquebot français des Messageries Maritimes le Niger, se rendant de Larnaca à Tripoli, embarque sur la réquisition de l’agent consulaire Français à Latakié, M. Geofroy, 2200 chrétiens réfugiés dans la baie de Bazit après la destruction de la ville et des villages chrétiens de la région de Kessab.

26 avril 1909

Le Jules-Ferry après avoir tiré quelques coups de canon à blanc mouille face à la plage de Bazit à 10 h « et a aussitôt envoyé ses embarcations à terre pour recueillir les fugitifs qui sortaient de leurs cachettes, descendaient en tous sens sur les pentes des collines voisines et accouraient vers la plage ». L’embarquement des 1 450 personnes (dont plus des deux tiers de femmes et enfants), exténués de fatigue et mourant de faim, dure de 10h30 à 17h40.

6 mai 1909

Le Jules-Michelet termine la remise à terre à Bazit des Arméniens rapatriés lesquels retournent chez eux, le mutessarif se portant garant de leur sécurité. Les bâtiments français distribuent quelques caisses de biscuits et de farine à Bazit, Adana et Alexandrette. Le rapport constate, en ce qui concerne les habitations et les quartiers chrétiens d’Adana, de Marach, de Hadjın, d’Antioche et de Kessab, que presque tout est détruit. Les Anglais et les Allemands dirigent le ravitaillement et commencent à organiser leurs ambulances à Adana. Il s’avère nécessaire que la France y organise à son tour un centre de soins et de ravitaillement.
Printemps 1915 : Zeïtoun est une ville de 7.000 habitants, tous Arméniens, au cœur des montagnes du Taurus. A la fin du printemps, 6.000 soldats turcs arrivent et attaquent…Et ainsi 3oo ou 4oo familles prennent le chemin, à pied, presque sans nourriture, des déserts d’Anatolie ou d’Arabie. « Le premier jour de marche nous épuise. La nuit, les muletiers turcs nous volent les ânes et les mules que nous avions. Le lendemain, nous atteignons Marach. Les enfants ont les pieds enflés et pleins d’ampoules »…

Juillet 1915

La ville de Yoghonolook est une petite Naples, une résidence, avec une nature délicieuse, les habitants reçoivent l’ordre d’évacuer la ville dans 8 jours… Les Arméniens décident de se retirer sur la montagne de Moussa Dagh, emportant comme nourriture et ressources tout ce qu’ils peuvent transporter. 4000 hommes, femmes et enfants creusent des tranchées et organisent la défense militaire. Les Turcs attaquent avec 3000 hommes, ils sont repoussés. Les jours passent, les Turcs font un blocus avec 15000 hommes. Il reste 15 jours de vivres…serait-il possible de s’échapper par la mer ? Aucun navire n’était en vue. Les femmes firent deux immenses drapeaux. Sur l’un, blanc : « Chrétiens en détresse; au secours ! », sur l’autre, blanc aussi : une grande croix rouge.

Le 53e jour de la résistance, la Providence se révéla sous la forme d’un croiseur français, le Guichen. Il a compris les signaux de détresse, il approche, rejoint par deux autres navires de guerre. Les Turcs sont bombardés. Alors, le lendemain des radeaux sont construits, les Arméniens s’alignent sur la rive. Une première manœuvre tire les radeaux sur le rivage, et les réfugiés s’entassent ; une seconde manœuvre ramène les radeaux vers les embarcations éloignées de 30 mètres et portent leurs précieux fardeaux aux navires. Enfin, la plage est vide. Mais les combattants ? Ils sont restés en haut et luttent pour tenir l’ennemi éloigné. Le lendemain, les canons de l’escadre fouillent toutes les hauteurs, et, divisés en 20 groupes, les derniers Arméniens se replient, successivement embarqués dès qu’ils arrivent.

En échange de l’hospitalité, les Arméniens ont versé pour la France le meilleur de leur sang, après lui avoir fait abandon de leur cœur.

1914- 1918 FRONT FRANÇAIS

Les Arméniens, qui à la suite de l’appel patriotique de Turabian ont signé un engagement pour la durée de la guerre, ont été d’autorité versés dans la Légion Étrangère, la loi n’admettant pas d’étrangers dans les unités françaises combattantes. Ils deviendront les héroïques et légendaires Légionnaires de la Grande Guerre et contribueront à ajouter un fleuron de plus à la couronne de gloire de la Légion. Le 9 Mai 1915, le 2ème Régiment de Marche, auquel était affectée la plus grande partie des Volontaires Arméniens, est engagé en Artois. Il fallait conquérir les Ouvrages Blancs et la côte 140. Malgré l’artillerie ennemie qui crachait le fer et le feu, la fureur des mitrailleuses et les pertes subies, une heure et demi après l’heure H, l’objectif était atteint. Mais les effectifs avaient fondu dans l’effrayante fournaise d’Artois et de Champagne…

« L’association des volontaires arméniens », ancêtre de l’actuelle ANACRA, est créée à Paris en 1917

1918 – 1920

Le Régiment de Marche de la Légion d’Orient est presque ignoré… C’est pourtant lui qui remporta la victoire décisive de l’Arara (Syrie), et c’est lui qui sut planter sur ce sommet réputé imprenable, grâce à l’héroïsme de ses soldats, le glorieux Drapeau Français. Après cette bataille mémorable, c’est encore lui qui se distinguera partout où il passera jusqu’en 1920, et qui sera l’objet de plusieurs ordres du jour, consacrant définitivement sa valeur de régiment d’élite.
Le premier contingent d’hommes, qui servit de pépinière à sa formation, fut constitué en 1915 par les rescapés du MOUSSA – DAGH.

1940

La campagne de France. Le 22ème régiment de marche des volontaires étrangers cité à l’ordre de l’armée :
« Jeté dans la bataille bien qu’incomplètement équipé et à peine amalgamé, s’est particulièrement distingué sous les ordres du Chef de Bataillon Hermann au cours des journées des 5, 6 et 7 juin 1940.
Complètement entouré par les Unités blindées ennemies, violemment bombardé tant par avions que par l’artillerie, a résisté héroïquement pendant quarante-huit heures à toutes les attaques, réussissant pendant ce temps à conserver l’intégrité des localités qui constituaient l’ossature de la position confiée à sa garde. N’a cédé que faute de munitions et écrasé par une supériorité matérielle considérable. A, par sa résistance, fait l’admiration de l’ennemi.”
Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre avec Palme. le 2 juillet 1941

1940 – 1945

Prisonniers de guerre. “Au début de l’année 1941, les Allemands entreprirent de réunir au Stalag XI-A (Altengrabow) les Arméniens faits prisonniers dans les rangs de l’Armée française. Entre 1 200 et 1 500 prisonniers furent rassemblés. Tous les prisonniers arméniens, enrôlés dans l’Armée française, restèrent fidèles à leur patrie d’adoption, malgré les innombrables propositions des Allemands.

1943 – 1945

La résistance arménienne en France “Les Arméniens font leur devoir pour leur patrie adoptive comme ils l’auraient fait pour leur pays d’origine. Une amitié plusieurs fois séculaire unit les deux peuples et c’est dans la douleur que la véritable amitié donne toute sa mesure.
Les Arméniens se trouvent dans la résistance aux côtés de leurs frères français, armés de courage et de dévouement.
A Paris, Lyon, à Grenoble, à Nice et à Marseille, ils forment des groupes de Francs-Tireurs et partisans. Le Front National Arménien est né. Il coordonne son activité avec celle des Résistants français.”
Gaston LAROCHE, Colonel F.T.P.F.

“En zone nord, particulièrement dans la région parisienne, l’Arménien Missak MANOUCHIAN devint le chef des T.T.P.F.M.O.I. et du détachement «Stalingrad». Le travail de liaison est assuré par l’épouse de MANOUCHIAN, Mélinée.
Le détachement «Stalingrad» participa, en 1943, à des dizaines d’attaques audacieuses à Levallois, Belleville, Clichy, Saint-Ouen, Montrouge, Issy-les- Moulineaux, dans le 16e arrondissement.”

5 juillet 2012

Mémorial de la Shoah : « Pourquoi les Arméniens qui n’étaient pas recherchés par la gestapo aidaient-ils les juifs ? Parce qu’ils avaient subi tant d’atrocités qu’ils ne pouvaient pas admettre que d’autres en souffrent ».
Alfred-François Beurkdjian, fils de Yervante et Elis Beurkdjian distingués parmi les Justes parmi les Nations pour avoir hébergé la famille Goldhamer de Colombes. Alffred-François Beurkdjian est également mentionné dans le livre des Justes de France pour son héroïsme, quoique âgé de 10 ans seulement à l’époque des faits (il était chargé du guet pendant que ses parents opéraient).
Le nom des 25 justes de la diaspora arménienne seront rappelés (10 sont français).