Premier dialogue Judéo-Arménien autour de l’Affiche Rouge

Honneurs aux Combattants de la Liberté
Cérémonie du 21 Février 2012
68ème anniversaire de l’exécution du Groupe Manouchian

Le seconde édition du dialogue Judéo-Arménien, organisée par l’ANACRA, conjointement sous les auspices du Grand Rabbin Haïm Korsia, Aumônier israélite des Armées et Antoine Bagdikian, Président de l’ANACRA, s’est déroulée le 21 février 2012, jour anniversaire commémoratif de l’exécution des 22 résistants du groupe Missak Manouchian, dans la salle communautaire de la cathédrale arménienne apostolique de la rue Jean Goujon à Paris. Une salle devenue exigüe au fil des minutes précédent la cérémonie, puisque plus de 250 Juifs et Arméniens se serraient dans une atmosphère de franche amitié pour écouter les hommages rendus à ceux qui avaient sacrifiés leurs vie pour que leurs frères et sœurs puissent vivre dans un pays libre.

Cette cérémonie, en hommage aux Arméniens et Juifs morts pour la France, fusillés le 21 février 1944 au Mont Valérien, perpétue le lien intemporel entre ceux qui, non français, ont offert leur vie au Pays des droits de l’homme au non de la Liberté. Parce qu’ils aimaient la France et qu’elle les « avait adopté ». Ils étaient apatrides, Juifs-polonais, Arméniens, Italiens, Hongrois, un Espagnol et un Français.

Dans son discours, le Grand rabbin Haïm Korsia, mettra en exergue le formidable élan de solidarité créé par le Groupe Manouchian. Citant le prophète Isaï dans le Chapitre 55 : « Car ma maison sera Maison de prière pour tous les peuples », il évoquera ensuite un passage de l’Exode : « ils me feront un tabernacle et moi je résiderai en eux. » Une apparente contradiction dans la formulation du texte interprétée par « et moi je résiderai en lui ». « Le véritable tabernacle de Dieu », dit-il, « est là. Il est là parce que nous sommes tous ensemble, avec nos différences. Avec les différences revendiquées. L’hommage d’aujourd’hui » -s’adressant à Arsène Tchakarian-, « c’est le véritable résultat de leur action [celle des résistants]. Ils étaient tous différents chacun avec leur nationalité. Leurs soirées avant les combats, leurs soirées de réflexion devaient ressembler à nos soirées. Avec des prières et des chants. Chacun dans sa langue. Chacun dans ce qui lui rappelait cette ère de tranquillité qu’il avait dû connaître ; qu’il espère retrouver. Mais ce qui est important ; dans sa dernière lettre à sa femme, Manouchian l’a écrite en français. Il l’a écrite en français parce que c’était la langue avec laquelle il essayait de construire. Nous ne sommes pas à leur hauteur » dira le Grand rabbin : « Nous sommes portés par leur élan. Le Groupe Manouchian c’était le visage de la France. Comme nous sommes aujourd’hui, ensemble, dans notre diversité, nous sommes à nouveau, nous, le visage de la France. La France a toujours été ce pays qui se construit parce qu’à un moment quelqu’un vient et rêve de cet idéal. Il rêve de liberté d’égalité et surtout peut-être plus que tout de fraternité. Le Groupe Manouchian a été capable de construire cette fraternité. Et je voudrais conclure en citant Elie Wiesel ; qui a peut-être dit la chose la plus bouleversante qui soit : « Vivre une expérience et ne pas la transmettre c’est la trahir. » « Eh bien, lorsque nous sommes ici ensemble, j’ai le sentiment de ne pas trahir ce qu’ils ont vécu. Et j’ai le sentiment, à mon tour, avec vous tous, de participer à l’idée fondamentale de transmettre ce qu’ils ont vécu. Parce que en étant ensemble nous donnons vie à leur histoire à leur rêve. ce qu’ils ont vécu. Il faut savoir prendre le temps de faire un pas de côté et savoir dire merci à ceux qui nous permettent d’être ensemble aujourd’hui. C’est quelque chose qui relève de ce qui est profondément le judaïsme qui consiste à savoir reconnaître ce qu’on doit aux autres. Nous devons tous, relativement, beaucoup au Groupe Manouchian. Pas parce qu’ils ont fait dérailler ou sauter des trains… Mais parce qu’ils ont vécu l’espoir de la France ensemble. »

A son tour, Antoine Bagdikian, Président de l’ANACRA, commencera son discours en évoquant la Une du journal « Actualité communautaire juive » qui titrait « la première pierre dans la construction du dialogue judéo-arménien » à l’issue de la première cérémonie en 2011, à la synagogue Chasseloup-laubat.

« En fait , la toute première pierre, c’est vous qui l’avez posée, M. Richard Prasquier, en 2007 (1), quand vous avez répondu à notre invitation au déjeuner à l’Ecole militaire lors de la commémoration du 90ème anniversaire de la création de l’Association des Volontaires arméniens , jumelée le même jour avec l’Hommage aux Fusillés de l’Affiche rouge.

Ensuite le relais a été assuré par une prière en hébreu, dans l’après midi, au Mont Valérien, sur la Dalle des Fusillés, par le Grand Rabbin Haïm Korsia, suivi par une prière en arabe par le Grand Imam de le Mosquée de Paris et une prière en arménien par Monseigneur Norvan Zakarian.

Nous répéterons chaque année en ce même 21 février, cette cérémonie d’hommage et de mémoire car ces Résistants ne doivent pas tomber dans l’oubli et pour rappeler cette inoubliable Affiche rouge, que les Allemands placardaient sur les murs de Paris pour inspirer la terreur, et si cette Affiche était si rouge c’était du sang mêlé de nos Héros.

Nous garderons, entre autres, les 2 symboles des chefs de réseau de ce Groupe : Joseph Epstein, juif polonais et Missak Manouchian, arménien, qui se retrouvent pour lutter contre la barbarie nazie. « Ces deux figures emblématiques de la résistance française oeuvrent sans relâche pour le retour de le Liberté et de l’Indépendance de leur Patrie, même s’ils n’étaient pas citoyens français, et révèlent par leur sacrifice suprême, l’intime dénominateur commun liant les peuples juif et arménien : le devoir de justice », écrira Haïm Ouizemann.

Et Mélinée Manouchian, l’épouse de Missak, elle-même grande résistante, me déclarait : « Missak et moi étions deux orphelins du génocide, nous n’étions pas poursuivis par les nazis, nous aurions pu rester cachés, mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de Juifs par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui encadraient l’armée turque lors du génocide des Arméniens ». Un autre parallèle dans nos Histoires .

1921 Berlin. Soghomon Tehlirian, Arménien, assassine Talaat Pacha, ex-ministre de l’intérieur du gouvernement « Jeune-Turc », principal instigateur du génocide arménien. Cinq ans plus tard, en 1926, à Paris, Sholem Schwartzbard, Juif français d’origine ukrainienne, assassine Simon Petlioura, ancien président du Directoire ukrainien (1918-1919) jugé responsable de pogroms perpétrés sur des milliers de Juifs d’Ukraine (*1). Plaidant volontairement coupables et accusés de meurtre, Tehlirian et Schwartzbard sont acquittés. Même destin pour ces deux hommes, l’un Arménien, l’autre Juif.

Le voilà, le grand symbole qu’il nous reste à cultiver : la solidarité et la fraternité pour engager des combats au nom des grands idéaux, dignes de l’héritage que nous ont laissé ceux qui sont morts pour leur conviction. La commémoration de ce soir n’est pas seulement le rappel du passé, et l’hommage aux morts juifs ou arméniens, c’est aussi , le rappel que leur héroïsme doit nous donner un élan pour la défense des grandes valeurs de l’Humanité et c’est assurément aux 2 peuples martyrs que nous sommes, qu’il appartient de mener ce combat.

Je parlais de pierres que nous avions posées mais il y en a eu d’autres, illustres et prestigieuses :

  • M. Henry Mongenthau, Ambassadeur des Etats-Unis, témoin oculaire des faits qui a même acheté la survie de villages entiers d’Arméniens, rapportait dans ses Mémoires la réponse de Talaat, un des trois ordonnateurs du génocide : « Pourquoi perdre cet argent , de toute façon bientôt, il ne restera plus aucun Arménien » et aussi« Il faudra tous les détruire car sinon il faudra craindre leur vengeance ». Morgenthau a un mausolée en Arménie que visitent ses descendants fiers de lui ;
  • M. Franz Werfel, écrivain autrichien, qui a laissé avec son roman « Les 40 jours du Moussa Dagh » un impressionnant témoignage des faits. Son livre est précurseur de la montée du nazisme ;
  • M. Elie Wiesel, immense personnage qui a bien compris le livre de Werfel en le qualifiant de chef d’œuvre, écrit en réaction au négationnisme turc : « tolérer le négationnisme, c’est tuer une seconde fois les victimes ».
  • Le manifeste de 116 rabbins des Etats Unis qui déclarent que ne pas reconnaître le génocide des Arméniens est contraire à l’esprit de la Shoah et indigne d’Israël ;
  • Maître Forster, dont la mère était sur la liste de Schindler, qui défendit gratuitement les Arméniens et fit perdre au tribunal le négationniste Bernard Lewis ;
  • Messieurs Israël Charny et Yaïr Auron de Jérusalem et à Paris MM. Bernard-Henri Lévy et Serge Klarsfeld qui prennent même le micro devant le Sénat pour en appeler à la loi de protection et s’opposer fermement à la négation turque, etc.

Est-ce aussi le moment de rappeler les paroles du président de la Knesset, Reuven Rivline qui déclare sans ambages, lors de la commission parlementaire du 26 décembre 2011 : « Le devoir moral nous incombe de nous souvenir et de remémorer la tragédie qui toucha le peuple arménien ; il ne s’agit point d’un sujet politique mais de l’expression d’une position éthique de la plus haute importance ; il en va de notre devoir moral, comme Juifs et hommes, de reconnaître les tragédies des autres peuples. Le peuple juif ne peut pas rester indifférent au génocide du peuple arménien. Des considérations diplomatiques, aussi importantes soient elles, ne nous permettent pas de nier la catastrophe d’une autre nation »

Haïm Ouizemann rappelle dans la rubrique Israël Flash les paroles d’Hitler en 1939 : « qui se souvient du massacre des Arméniens » et ajoute « C’est cette même indifférence à l’égard du peuple arménien qui a frappé les Juifs 25 ans plus tard ».

Il y a aussi un autre domaine où la solidarité devant les négationnismes devrait s’instituer, c’est celui de la Loi contre la pénalisation des génocides. Nous sommes honorés que, et je les cite encore, Bernard-Henri Lévy et Serge Klarsfeld aient fait de notre combat leur combat et qu’ils s’insurgent contre les députés ou sénateurs qui s’acharnent pour bloquer la loi. Les arguments et les chicaneries administratives, et des textes qui seraient contre la loi, et le parlement qui ne devrait pas … Que peut on donc répondre sinon que si un crime aussi honteux et aussi immense qu’un génocide ne trouve pas sa place dans les textes, alors il faut modifier les textes. Aucune constitution d’aucun pays ne peut prévoir ce cas unique, un génocide révélé, mille fois révélé et comme adversaire tout un pays, la Turquie, qui se dresse et menace, et calomnie avec les pires horreurs , par exemple, contre Madame Valérie Boyer, et qui fait reculer le parlement et le sénat de la France. Personne n’était préparé à cet état de choses, et bien, que le courage s’empare de nos élites pour trouver les textes qui conviennent : ce sera toujours moins dangereux pour leur vie de manipuler des textes, que ces pauvres émigrés transpercés de balles, morts pour que cette « élite » ait le droit de vivre ..et d’écrire !!

En attendant, nous sommes blessés devant de telles tergiversations et, doit on le dire dans cette enceinte de prière, encore plus profondément blessés , quand ce sont des enfants de la shoah qui nous portent les coups les plus durs et se révèlent les meilleurs amis des négationnistes turcs. Toute cette énergie à nous démontrer que les textes ne laissent pas de place à la protection du génocide des Arméniens, toute cette science à nous faire mal, ne serait elle pas mieux orientée pour tenter plutôt d’ ouvrir et de modifier enfin ces textes, 90 ans après le crime, pour protéger les citoyens français que nous sommes, contre cette cinquantaine d’atteintes et d’agressions par an à nos monuments de mémoire. Quand de plus, il n’y a pas de la part de certains élus, comble de la frustration, à édulcorer nos plaques commémoratives en enlevant toute allusion au génocide la veille d’une inauguration !! Quand donc cette vérité historique du génocide des Arméniens va t’elle enfin s’imposer !

Alors, implorons tous ceux qui ont quelque pouvoir pour entrer dans ce combat, et comme vous autres, chers Amis juifs, qui avez cette protection de la Loi Gayssot, demandons leur cette loi de protection des Arméniens, au nom des plus grandes valeurs dont nous sommes les héritiers et que nous voulons défendre ! C’est ce combat qui sera digne de l’héritage de nos Fusillés !

Car nul autre qu’un Arménien ne peut comprendre la douleur d’un Juif encore sujet au racisme et à l’antisémitisme et nul autre qu’un Juif ne peut aussi comprendre la douleur d’un Arménien quand il doit encore se battre pour imposer la réalité de son génocide et chercher désespérément à le protéger contre le négationnisme d’un puissant Etat, encore loin de regarder en face son Histoire !

Je terminerai avec la phrase de Bernard-Henri Lévy : “A ceux qui seraient tentés de jouer au jeu de la guerre des mémoires, je veux répondre en plaisant pour la fraternité des génocidés. »

Interview de Richard Prasquier, Président du CRIF
« Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement » (Missak Manouchian). Une phrase dont la résonance prend aujourd’hui une dimension particulière.

Jean Eckian – photos & reportage.
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=77367

(1) Les premières rencontres arméno-juives ont trouvé leur origine sous l’impulsion Jean-Pierre Allali et Ara Toranian voilà déjà plusieurs années.

(2) discours de Bernard-Henri Levy prononcé le 19 janvier 2007 au Palais de la Mutualité